Réinventer le modèle de financement des collectivités territoriales : un impératif démocratique
- expertisepublique8
- 9 juil. 2024
- 3 min de lecture

« Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l'usage paisible et l'habituent à s'en servir. » Ces mots d'Alexis de Tocqueville résonnent aujourd’hui avec une acuité particulière, alors que nos collectivités territoriales traversent une période de turbulences financières sans précédent. Pilier de notre démocratie de proximité, ces institutions sont confrontées à des défis financiers de plus en plus pressants. Entre la diminution des dotations de l’État, l’augmentation des dépenses obligatoires et les attentes croissantes des citoyens, l’équilibre budgétaire est devenu une gageure annuelle pour nombre d’entre elles. La crise sanitaire et économique n’a fait qu’exacerber ces tensions, rendant urgente la nécessité de repenser le modèle de financement des collectivités territoriales.
Des collectivités budgétairement à bout de souffle
Depuis plusieurs années, les collectivités territoriales doivent composer avec une contraction continue de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et une augmentation des dépenses contraintes, notamment sociales, d’énergie ou de masse salariale. Parallèlement, les recettes fiscales ont été fragilisées par les réformes successives (suppression de la taxe d’habitation, de la CVAE etc.) Cette situation met en péril non seulement la capacité d’investissement des collectivités, indispensable au dynamisme économique local, mais aussi leur aptitude à maintenir des services publics de qualité. Actuellement ce sont les finances des départements qui sont mises à rude épreuve du fait notamment d’une TVA moins dynamique que prévue.
En outre les collectivités ne peuvent plus dépendre de décisions unilatérales de l’Etat (transfert du RSA, suppression de la taxe d’habitation, majoration des pénalités SRU, augmentation du point d’indice) dont le financement présenté comme équilibré à court terme ne résiste souvent pas à l’usure du temps malgré l’impératif posé par l’article 72-2 alinéa 4 de la constitution. Si demain le point d’indice était revalorisé de 10 point comme cela est proposé dans certains programmes politiques, et quel que soit la légitimité de cette proposition, comment pourraient-elles y faire face alors que beaucoup peinent déjà à équilibrer leurs budgets ?
S’agissant de du fameux article 72-2, il est malheureux que la rédaction pourtant limpide de son alinéa 3 « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources » ait été détourné par la loi organique du 29 juillet 2004 relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales en caractérisant de « ressources propres » les recettes dont la loi « détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette ». C’est entre autre ce qui a permis de remplacer la taxe foncière départementale sur laquelle ces collectivités avaient un pouvoir de taux et d’assiette, par une part de la TVA sur laquelle elles n’ont aucune prise n’ayant ainsi de ressources propre que le nom.
Un nouveau paradigme financier à trouver
La réforme du financement des collectivités est une nécessité.
Les financements de l’Etat doivent pouvoir être garantis sur plusieurs années (au moins un mandat) afin de donner plus de visibilité financière aux collectivités et ainsi leur permettre d’établir une prospective cohérente. Pour cela plusieurs reforme peuvent être adoptées comme par exemple :
Créer des mécanismes de financement pérennes, tels que des fonds dédiés ou des dotations spécifiques indexées sur des indicateurs économiques fiables (comme l'inflation ou la croissance économique).
Créer d'un pacte financier pluriannuel entre l'État et les collectivités territoriales (via le Comité des finances locales par exemple) pour définir des engagements financiers clairs et prévisibles.
Ces réformes, pour ne pas dépendre de l’actualité politique ou de la conjecture économique, devraient relever à minima d’une loi organique, voire constitutionnelle.
La réforme de la fiscalité locale est une autre nécessité. Une révision en profondeur pour la rendre plus juste et plus efficace, en prenant en compte les spécificités locales et les capacités contributives des habitants, est indispensable. Il est en outre impératif de renouer le lien contribuable/électeur, brisé par la suppression de la taxe d’habitation. Aujourd’hui près de 45% des ménages de ne financent pas les services publics locaux, et ce taux peut monter à 80% dans certaines ville comme Saint-Denis (93). Comment dans ce contexte voter pour un projet politique financièrement cohérent quand son financement de n’incombe pas à une grande partie des électeurs.
L’introduction de taxes environnementales locales pourrait également encourager les comportements vertueux tout en finançant des initiatives de transition écologique.
La réinvention du modèle de financement des collectivités territoriales est un impératif pour garantir leur pérennité et leur capacité à répondre aux attentes des citoyens. Il est temps d’ouvrir un vaste chantier de réflexion et d’innovation pour bâtir un modèle financier plus robuste, équitable et adapté aux défis du XXIe siècle. Les collectivités territoriales sont des acteurs clés de notre cohésion sociale et de notre développement économique. À ce titre, elles méritent un financement à la hauteur de leurs ambitions et de leurs responsabilités.
Comments